samedi 1 avril 2017

Les Ngakpa

Voici la traduction de l'interview :

La tradition Ngakpa

Jef Cox : Il n'y a pas beaucoup de gens en Occident qui comprennent ce que sont les Ngakpa, bien que nombreux soient ceux qui ont vu des photos de ces yogis aux cheveux longs et aux robes blanches. Celui qui est le plus connu est peut-être feu Yeshe Dorje, qui était le « faiseur de pluie » de Sa Sainteté le Dalaï-Lama, c'est-à-dire celui que l'on appelait pour contrôler la météo dans certaines occasions. Je voudrais en savoir plus à propos de la pure tradition Ngakpa.

Khetsun Sangpo Rinpoche :

Les Ngakpa peuvent se marier et avoir une famille. Leur pratique est essentiellement intérieure mais vraiment spirituelle.

Q : Ils sont engagés dans des rituels et des cérémonies similaires à celles des traditions chamaniques mais il y a une différence essentielle. C'est-à-dire que pour les Ngakpa, le but final est l'illumination dans le but de libérer les autres et soi-même. Habituellement dans la tradition chamanique personne ne parle d'illumination, elle vise seulement à soigner et à accomplir des choses temporaires, utiles que pour le bien-être de la vie ordinaire. Le but n'est pas aussi élevé.

Q : Je vois, vous voulez dire que les Ngakpa font des choses similaires à celles des chamanes, mais que leur but est de créer de meilleures conditions pour l'illumination, qu'elles soient mentales ou physiques ?

A : Oui, simplement, les Ngakpa agissent non seulement pour le bien-être du moment présent mais aussi pour la future illumination.

Q : Je vois. Y a-t-il autre chose que Rinpoche aimerait dire à propos de la tradition Ngakpa ?

A : Les moines bouddhistes prennent les vœux de pratimoksa, au nombre de 253. Mais les Ngakpa, avec leurs vœux tantriques et leurs samayas (engagements) en ont 100 000 à garder au niveau mental. C'est une pratique de chaque instant pour les respecter et éviter les actes non vertueux.

Q : Lorsque vous dites : « 100 000 vœux » c'est comme si vous disiez qu'à chaque moment de la journée vous devez maintenir votre lucidité. Il ne s'agit pas vraiment de 100 000 vœux.

A : Oui, c'est une métaphore.

Q : Garder l'esprit pur tout le temps.

A : Non pas pur, juste lucide.

Q : Lucide ?

A : Il vous faut une très grande lucidité pour garder 100 000 samayas. Ainsi, si ces personnes conservent ce genre de lucidité, même si elles apparaissent extérieurement comme de simples êtres, elles sont en réalité de grands êtres : elles sont réalisées ou de grands pratiquants.
Autrement, la plupart des gens, s'ils ne peuvent pas prendre les vœux d'ordination ou garder toutes les samayas, peuvent alors prendre quelques connexions avec le dharma, mais l'illumination sera très difficile. Peu importe ce que vous faites, si vous ne voulez pas prendre les vœux d'ordination, devenez un pratiquant laïque. Tout ce que vous avez à faire c'est de garder toutes ses samayas et vous deviendrez alors un vrai Ngakpa.

Q : Voulez-vous dire que la pratique tantrique de la voie du Ngakpa est plus stricte que celle du pratiquant moyen du tantrisme ?

A : Exactement. Sur le plan mental, c'est beaucoup plus strict.

Q : Donc, un pratiquant dans un monastère Nyingma, ayant pris les vœux de pratimoksa ou autre et qui est aussi un pratiquant tantrique, ne devrait pas avoir les mêmes attentes qu'un pratiquant Ngakpa tantrique ?

A : Oui, la différence, c'est que si vous être laïque, pour ne pas briser vos vœux à chaque instant, il vous faut une grande lucidité. Si vous restez dans un monastère, les vœux sont beaucoup plus faciles à observer.

Q : D'accord, il me semble que la question est : si les gens sont sérieux dans leur pratique, pourquoi devraient-ils choisir d'être Ngakpa, alors que ça pourrait être plus simple autrement ? Qu'y a-t-il en nous, qui nous fasse choisir la vie de Ngakpa ?

A : De nombreuses personnes commencent à suivre la tradition Ngakpa parce qu'extérieurement, la vie ressemble à celle d'une personne laïque, ce qui vous permet de tout faire : vous pouvez prendre femme ou boire de l'alcool. Mais ce que ces personnes ne savent pas au début, c'est qu'il y a de très subtiles restrictions, disciplines et la lucidité qui en font partie. C'est encore plus difficile que de rester dans un monastère.

Q : Du fait les pratiquants restent dans la vie, ils transforment les conditions de la vie naturelle, non pas en une vie artificielle - ce qu'est en quelque sorte la vie dans un monastère. Donc, si votre esprit est assez discipliné pour maintenir la lucidité intérieure comme vous dites, alors la voie du Ngakpa doit en réalité avoir encore plus de force ?

A : Oui. Si vous suivez toutes les samayas tantriques, vous pouvez reconnaître tous ces poisons et vous progressez beaucoup plus vite et avec beaucoup plus de puissance que les autres. Mais c'est aussi une voie dangereuse si vous ne pouvez pas conserver toutes vos samayas. Car alors, les samayas brisées sont encore plus graves, et ce qui en résulte est pire. Être Ngakpa c'est comme être un serpent à l'intérieur d'un bambou : vous devez avancer ou reculer mais il n'y a pas d'autre sortie sur les côtés. C'est beaucoup plus dangereux et risqué. Il y a seulement 2 voies : si vous suivez réellement la pratique des samayas, vous obtiendrez un résultat plus rapide, vous atteindrez l'illumination et aiderez les autres, alors que si vous brisez vos samayas, vous irez en enfer.

Q : Bref ça ne ressemble pas à quelque chose dont tout le monde a envie. Arrive-t-il que certains choisissent cette voie car ils sont nés dans une famille de Ngakpa ?

A : Oui, c'est une raison, mais aussi un choix. En raison de notre nature physique, de nos inclinations mentales, ou parce que l'on a atteint un certain stade, ou encore pour prendre une épouse et d'autres raisons.

Loppon (le traducteur) : Ou si vous venez d'une famille de Ngakpa : dans ma ville natale, les 25 disciples et leurs descendants dans la région, ont gardé le dharma dans leur famille. Les Ngakpa de la famille se sont rassemblés dans un village et ont construit un temple que nous avons appelé le ngag kang, ce qui signifie "le hall de l'assemblée des Ngakpa". Ce n'était pas très solennel, mais grâce à l'influence de la tradition monastique, nous avons construit ce temple, nous rassemblant pendant les jours auspicieux du mois pour faire des rituels et donner des enseignements et des transmissions. Mais ce n'est qu'une lignée familiale particulière : c'est toujours l'aîné qui devient le Ngakpa et le reste des enfants est envoyé au monastère. Mais bien sûr, il y en a beaucoup d'autres qui ne font pas partie de la lignée familiale, qui veulent juste devenir Ngakpa afin d'apprendre le Tantra sans avoir à quitter la vie sociale, il y en a beaucoup comme eux.

Q : La voie du Ngakpa attire les occidentaux mais c'est peut-être quelque chose à ne pas recommander.

A : Personne ne vous demande ou vous interdit de devenir Ngakpa, tout dépend de votre pratique. Vous venez aux enseignements, vous commencez la pratique et progressez lentement. Lorsque vous cultivez vos mérites, votre sagesse s'élève et vous obtenez cette lucidité, alors vous pouvez suivre et garder spontanément toutes les pratiques. Ceux-là sont les vrais Ngakpa, les vrais pratiquant Ngakpas. Les autres ont l'apparence des Ngakpa, il en portent les vêtements et les cheveux longs. Les lamas Tibétains auraient honte de faire ça en Occident, mais curieusement, beaucoup d'étudiants occidentaux les arborent comme des yogi.

Q : Oui, de nos jours beaucoup d'occidentaux ressemblent à des Ngakpa.

A : Les Tibétains n'essayent pas de ressembler à des Ngakpa, là est la différence : si vous suivez réellement ces samayas, vous êtes un grand pratiquant et personne ne peut le voir de l'extérieur. D'un autre côté, ceux qui ne peuvent  rien respecter, mais en portent les vêtements, ne sont rien d'autre que les costumes et les symboles qu'ils étalent. Tout prend une tournure opposée si vous ne pouvez pas vraiment tenir vos samayas.

Khetsun Rinpoche

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire